Paris 1931, l'Exposition Coloniale. Quelques jours avant l'inauguration officielle, empoisonnés ou victimes d'une nourriture inadaptée, tous les crocodiles du marigot meurent d'un coup.
Une solution est négociée par les organisateurs afin de remédier à la catastrophe. Le cirque Höffner de Francfort-sur-le-Main, qui souhaite renouveler l'intérêt du public allemand, veut bien prêter les siens, mais en échange d'autant de Canaques. Qu'à cela ne tienne !
Les « cannibales » seront expédiés.
Inspiré par ce fait authentique, le récit déroule l'intrigue sur fond du Paris des années trente - ses mentalités, l'univers étrange de l'Exposition - tout en mettant en perspective les révoltes qui devaient avoir lieu un demi-siècle plus tard en Nouvelle-Calédonie.
«?L'accouplement est un cérémonial - s'il ne l'est pas c'est un travail de chien.?».
Au début des années soixante, un jeune homme est nommé instituteur dans un village du Périgord, le pays des grottes préhistoriques, entre Les Eyzies et Montignac.
Dense, tendu, plein de fulgurances et d'emportements le roman fait de cette terre l'espace à vif d'une quête amoureuse. Yvonne, la belle buraliste, porte en elle la brûlure du désir, tout le mystère de la différence des sexes - l'origine du monde.
« Écoute, le sol se dérobe, les mots dérapent ; partout, nos appuis s'érodent. Nous vivons «au-dessus» du monde, dans des bulles d'histoires ; ce que nous voyons, au loin, depuis cette hauteur, c'est une Terre abîmée, épuisée. Nous entrons dans un temps vertigineux. Et moi, figure-toi, avec les livres qui m'ont accompagné, j'ai voulu saisir les formes de ce vertige. Comprendre cette guerre, ce combat, et cette blessure, entre les langages humains et les autres formes de la vie. ».
Une histoire du vertige, à sa façon unique, est un livre d'aventures. Il s'ouvre sur la cavale de Don Quichotte : cet être envoûté par la fiction, et qui nous ressemble tant. Et à partir de là, il tourne inlassablement autour d'une espèce : la nôtre, en se demandant comment nous détruisons nos appuis terrestres ? Fresque du temps présent, de nos vertiges face à la crise écologique et aux épreuves de la guerre, le livre s'adresse à un lecteur imaginaire : un ami, un frère ou une soeur, un compagnon. Il parle de nous, de notre perte d'équilibre, de notre sentiment que plus rien ne tient, que tout s'effondre ; mais en nous apprenant, petit à petit, à tenir dans le vertige. En nous reliant à un monde infini, beaucoup plus vaste, où les petits « Je » des modernes s'effacent.
En 2012, Thésée quitte « la ville de l'Ouest » et part vers une vie nouvelle pour fuir le souvenir des siens. Il emporte trois cartons d'archives, laisse tout en vrac et s'embarque dans le dernier train de nuit vers l'est avec ses enfants. Il va, croit-il, vers la lumière, vers une réinvention. Mais très vite, le passé le rattrape. Thésée s'obstine. Il refuse, en moderne, l'enquête à laquelle son corps le contraint, jusqu'à finalement rouvrir « les fenêtres du temps »...
Les voilà, encore une fois : Billaud, Carnot, Prieur, Prieur, Couthon, Robespierre, Collot, Barère, Lindet, Saint-Just, Saint-André.
Nous connaissons tous le célèbre tableau des Onze où est représenté le Comité de salut public qui, en 1794, instaura le gouvernement révolutionnaire de l'an II et la politique dite de Terreur.
Mais qui fut le commanditaire de cette oeuvre ?
À quelles conditions et à quelles fins fut-elle peinte par François-Élie Corentin, le Tiepolo de la Terreur ?
Mêlant fiction et histoire, Michon fait apparaître avec la puissance d'évocation qu'on lui connaît, les personnages de cette « cène révolutionnaire », selon l'expression de Michelet qui, à son tour, devient ici l'un des protagonistes du drame.
Dans un pays du Proche-Orient, un enfant et sa mère occupent une maison jaune juchée sur une colline. La guerre vient d'emporter le père. Mère et fils voudraient se blottir l'un contre l'autre, s'aimer et se le dire, mais tandis que l'une arpente la terrasse en ressassant ses souvenirs, l'autre, dans le grenier où elle a cru opportun de le cacher, se plonge dans des rêveries, des jeux et des divagations que lui permet seule la complicité amicale des mots.
Soudain la guerre reprend. Commence alors pour Jean une nouvelle vie, dans un pays d'Europe où une autre mère l'attend, Sophie, convaincue de trouver en lui l'être de lumière qu'elle pourra choyer et qui l'aidera, pense-t-elle, à vaincre en retour ses propres fantômes.
Ce texte, cruel et tendre à la fois, est avant tout le formidable cri d'un enfant qui, à l'étouffement et au renoncement qui le menacent, oppose une affirmation farouche et secrète de la vie. C'est ce dur apprentissage, fait d'intuition et de solitude, qui lui ouvrira plus tard des perspectives insoupçonnées.
Le 12 août 1988, le peintre noir américain jean-michel basquiat était trouvé mort, sans doute d'une overdose, dans son loft de great jones street, la tête tournée vers le ventilateur.
Il avait 27 ans. l'enfant de brooklyn, le gras de soho qui signait sous le nom de samo, venait de traverser les années quatre-vingt et le monde de l'art con une météorite laissant dans son sillage plus de huit cents tableaux et deux mille dessins qui continuent d'illumine le ciel de la peinture d'un éclat nonpareil. c'est à sa manière digressive, vagabonde et fragmentaire jean-jacques salgon nous emmène à la rencontre de cet artiste, de son univers et de son oeuvre.
Attentif aux traces, aux moindres signes qui pourraient soudain e en résonance avec sa propre vie, il reste en ce sens fidèle à celui qui déclarait un jour à un journaliste : " je ne pense pas à l'art quand je travaille, j'essaie de penser à la vie. "
Les morts sont insensibles aux récits, ils n'ont pas besoin d'être apaisés, où ils sont plus rien ne les concerne.
Ce que nous remuons, ce que nous cherchons obstinément, ce sur quoi nous enquêtons sans relâche, ce ne sont que des songes, de frêles apparences dépourvues de corps et de réalité qui n'intéressent que les vivants.
Les morts, eux, sont sans histoires, du moins, je crois, ne cherchent-ils plus à en avoir.
Parti à Perugia, Ombrie, Italie, sur les traces de ses ancêtres, le narrateur s'égare, circule en titubant parmi les oeuvres de Giotto, Raphaël, le Pérugin, Pietro Lorenzetti et quelques autres, croisant au passage saints, papes, griffons, anges et martyres.
Ce roman en vers est avant tout le récit d'un séjour au pays des morts, sur les modèles de Virgile et de Dante, un voyage intime et sensible à travers un tissu d'oeuvres picturales et littéraires.
Mais toute quête des origines n'est que vanité destinée à la satisfaction des vivants. Il faut savoir laisser les morts tranquilles. « À courir après des fantômes, / aussi familiers soient-ils, / on n'attrape au mieux que du vent. ».
Après Pâture de vent (2019), Porte du soleil clôt un cycle amorcé avec Extrêmes et Lumineux (2015).
Les cinq textes de Mathieu Riboulet rassemblés dans Nous campons sur les rives (Verdier, 2018) furent écrits en amorce de ce que Patrick Boucheron allait dire sous la halle du village de Lagrasse cet été 2017 dans le cadre de ses « conversations sur l'histoire » qu'il anime depuis des années au Banquet du Livre.
En réunissant les préludes de l'écrivain et les interventions de l'historien, il s'agit ici de livrer, telles quelles, ces paroles autour de l'histoire, mondiale ou plus locale, de la littérature, des arts, des sciences, et de tout ce qui a nourri leur dialogue, leur imagination cet été-là. Ce livre est l'archive de la parole d'un nous.
Peut-on imaginer que ce qui fait le parcours discret des esprits et des coeurs soit perdu, que rien ni personne ne sache ce qui nous a traversés, habités, blessés, mis en joie ? Est-il possible que ce qui est peut-être le plus humain de l'humain soit voué à un oubli ou du moins à une complète méconnaissance ? Qui lira dans nos coeurs, qui saura vraiment ce que nous sommes, en grisaille feu et fraîcheur, qui accueillera nos pensées tues ? Savoir que personne ne recueillera ce qui est sans témoin me tord le ventre.
Le récit s'ouvre sur l'enfance du narrateur, un trou que personne ne soupçonne, creusé par l'annonce de la mort de sa grand-mère. Il a cinq ans. Tout ce qui précède ce premier deuil semble effacé de sa mémoire jusqu'à ce qu'il ne traverse lui-même, bien plus tard, une maladie grave. Tandis qu'il relit un jour des écrits de Thérèse de Lisieux, se révèle à lui un coin inconnu de (sa) grande volière intérieure. Et c'est dans un dialogue avec la sainte que le narrateur rassemble les traces du passé, ces émotions enfouies, souffrances et questions sans réponse, cet abandon et ce délaissement où l'on se croit et que personne ne vient apaiser, l'extinction anonyme de notre plus intime, de ce plus humain qui disparaît plus vite que les chairs éparses.
Sans être croyant, Patrick Autréaux s'interroge sur le sens d'une vocation, mystique ou littéraire, sur les métamorphoses du corps, sur ce qui se transmet à notre corps défendant, sur le devenir de l'écrivain, avec l'émotion à fleur de ligne et la rigueur dans la formulation qui caractérisent son écriture.
«?Le sursis que je vis ne m'obsède pas. J'oublie que je suis si près d'une mort attendue. L'oubli et sa complice la mémoire sont encore la ressource principale des vivants. Ce sont les mots qui tiennent ensemble les vivants et les morts. Rien d'autre.?».
Vivre encore un peu dans et par les mots, réussir à s'y tenir vivant jusqu'à la mort : au seuil de l'adieu, Jean-Louis Comolli se fraie un ultime chemin au fil des souvenirs, de petits récits, vifs et précis, de brèves réflexions qu'il rapporte à son expérience autant qu'à des scènes de cinéma et à ses lectures.
L'engagement, la dignité de l'homme dont témoignent ces approches disent l'exigence d'une vie, jusqu'au bout.
Si on veut, c'est Marseille et on l'appelle Mahashima.
Legudo, ce sont les Goudes.
Et Manosque se dit Manosaka.
Les collines, en tout cas, n'ont pas beaucoup changé.
À Mahashima, longtemps capitale d'un royaume sans importance, Ryoshu mesure son bonheur de vivre heureux dans une ville heureuse.
Un matin, il se met tout de même en marche pour aller revoir, non loin, les paysages de son enfance. En suivant le rivage, en gravissant les collines, il se remémore la période de troubles qui a marqué sa jeunesse, puis ce caprice du pouvoir à l'origine de la plus belle saison qu'on ait connue : le déplacement de la capitale, quand Mahashima fut subitement abandonnée par les puissants.
L'histoire a peut-être lieu dans le futur, mais on y voit des pans entiers de notre époque, des clans guerriers, comme dans le Japon médiéval, et une lumière qu'on avait oubliée.
C'est un monde renversé sans violence, ou presque, et qui retrouve son équilibre en ayant renoncé à durer toujours.
Daily Express, septembre 1945 : « Personne ne sait encore pourquoi Sonia A., une artiste espagnole de 23 ans, a chuté mortellement de 80 pieds sur le pavé de Queensway, Bayswater. Hier matin, elle a passé un appel téléphonique depuis l'immeuble.
Quelques minutes plus tard, elle gisait nue et mourante dans la rue. » Sonia cherche à se perdre dans les rues ravagées de Londres, dans la ville rendue à la nuit par le black-out, dans les forêts environnantes, dans les caves à jazz, dans l'emmêlement des corps et dans les méandres de ses propres dessins. Pour- suivant un désir à quoi rien ne saurait répondre, elle amorce un envol qui n'aura pas de fin.
Quand on a vécu son enfance dans une absolue liberté et que l'entrée dans l'âge adulte ne s'est assortie d'aucun harnais, d'aucune obligation ni désir de servir, de consacrer les bonnes heures du jour au travail, aux soins des enfants ou des animaux, alors la faim de liberté se déplace, elle mute, elle trouve aussitôt d'autres murs à quoi se heurter, d'autres insuffisances : la société, bien sûr, la liberté qu'on n'a pas d'y faire ceci, d'y être cela, mais aussi la limitation du corps et la limitation de l'esprit.
Sonia voudrait ne plus avoir de nom, ne plus avoir de langage, ne plus avoir de visage. Elle croit qu'il y a mieux à faire que d'être à son tour une personne et que chacun peut devenir une suite ininterrompue d'événements : par conta- gions et par alliances, en trahissant l'espèce, le genre et la communauté.
Dans ce café d'un petit bourg où Jean-Luc et Jean- Claude ont la permission, tous les jeudis, de venir boire (sans alcool), les choses prennent ce jeudi un tour inhabituel.
D'abord, il y a ce gars, ce jeune gars aux cheveux si blonds, qui émerveille les deux amis parce qu'il vient d'Abbeville. Et puis demain c'est vendredi, le jour de l'injection retard de Jean-Luc, qui sent en lui quelque chose gronder. Peut-être un écho de la tempête qui vient de balayer tout le canton, et qui met en danger les phoques de la baie, pour lesquels Jean-Claude se fait tant de souci. Il suffira d'un rien, d'une contrariété, un billet de loto qu'on refuse de valider à Jean-Claude pour que tout se dérègle. Sous la pluie battante, le gars blond prend les deux amis en voiture. Au Foyer, où ils ne sont pas rentrés à 18 heures, l'inquiétude monte. Il faut prévenir les gendarmes.
Où vont-ils ? On ne sait pas très bien, au PMU peut-être.
Et ce gars, que leur veut-il, à eux qui sont si vulnérables ?
Du souci, il en sera beaucoup question dans cette histoire dont une vieille dame et une phoque sont les témoins silencieux, et les collégiens d'une classe découverte des témoins beaucoup plus agités. Sur le parking d'Intermarché, ça ne se passe pas très bien.
Faut-il partir encore plus loin, là où la virée pourrait devenir dangereuse ?
On cherchera des abris. Les trouvera-t-on ?
Aujourd'hui, c'est vigilance orange.
Demain c'est vendredi. Le jour de voir les phoques ?
De 1987 à 1989, Marc Crépon est coopérant dans la République de Moldavie qui fait encore partie de l'URSS.
Son courrier étant systématiquement ouvert, ses conversations téléphoniques sur écoute, il tient un Journal. Il lui confie ses expériences et ses réflexions, y rapporte, au jo0ur le jour, les réalités du système soviétique, les pénuries, la peur, la méfiance, le contrôle de la population, au fil des relations amicales et amoureuses qui se font et se défont. Il y recueille, non sans appréhension, les récits de près de cinq décennies de domination et de prédation d'un système impitoyable. Durant l'hiver 2021-2022, il redécouvre ces pages et décide de les publier quelques mois à peine avant que l'agression de l'Ukraine ne fasse ressurgir le fantôme de la terreur.
À l'été 2022, comme il le fait régulièrement, il retourne en Moldavie, la situation lui inspire alors le désir de prolonger brièvement ce journal.
Atteint du syndrome d'Asperger, l'homme qui se livre ici aime la vérité, la transparence, le scrabble, la logique, les catastrophes aériennes et Sophie Sylvestre, une camarade de lycée jamais revue depuis trente ans. Farouche ennemi des compromis dont s'accommode la socialité ordinaire, il souffre, aux funérailles de sa grandmère, d'entendre l'officiante exagérer les vertus de la défunte. Parallèlement, il rêve de vivre avec Sophie Sylvestre un amour sans nuages ni faux-semblants, et d'écrire un Traité de criminologie domestique.
Par chance, il aime aussi la solitude.
Deux histoires se croisent dans ce bref roman :
Celle d'un huis clos dramatique entre trois hommes et une femme, dans un palais délabré d'une Veracruz imaginaire, à l'approche d'un cyclone ; et celle d'une éphémère rencontre amoureuse dans la même ville.
Entre ces deux histoires, l'une sombre, nocturne, l'autre lumineuse, y a-t-il un rapport, et lequel ?
Toutes les hypothèses sont permises.
L'intrigue de ce livre commence le 1er janvier 1981 et s'achève le 31 décembre de la même année. Avec quarante ans de recul, le narrateur se remémore sa vie d'étudiant cette année-là, ses relations amoureuses hésitant entre des figures contrastées de la féminité - dont celle qui lui fit vivre la douche écossaise d'un grand amour - mais aussi les hésitations du pays, autour de l'élection de François Mitterrand, entre les utopies de la gauche et le spectre du totalitarisme communiste brandi par la droite.
Le narrateur évoque également ses lectures datant de cette époque : la mythologie gréco-latine, qu'une amante d'un soir l'invite à mieux connaître ; et les « cent plus beaux textes écrits en français », dont un libraire carburant au Pouilly-Fumé s'attache, soir après soir, à dresser l'impossible liste.
Entremêlant une succession de plongées dans la mémoire du narrateur et de relecture des grands mythes antiques, le récit dessine par petites touches son thème profond : la construction du récit historique, sanctuaire de papier constitué d'un bric-àbrac de légendes et de souvenirs, tous plus fallacieux les uns que les autres. Il se termine dans le vertige identitaire qui en découle et que tentent de fixer nos fragiles constructions biographiques : qui sommesnous ? Que savons-nous de nous, en dehors du récit par lequel nous nous racontons ? Nous est-il possible de nous rencontrer hors des illusions du langage ?
A la fin de sa vie, sur l'invitation du roi de france, un maître italien, peintre et architecte, quitte son pays.
Accompagné de ses élèves, il fait le long voyage jusqu'à la loire oú il aura sa demeure.
On lui donne une servante.
La relation de cette rencontre, en vérité bouleversante, impossible à cerner dans une formule, est le coeur du roman servi par la prose tendue, insidieuse et dense de michèle desbordes qui porte - magistralement - le récit jusqu'à son point d'orgue : la demande.
Notre rapport à la médecine dépasse la réalité car cette science nous semble détenir une part de notre destin. De ce diagnostic découle l'évidence d'une « médecine imaginaire ».
Si la pratique de cet art, la maladie et ses thérapeutiques cristallisent l'imaginaire de chacun, ces images sont étonnamment hétérogènes : la connaissance s'y mêle avec l'obscur, la raison à la folie. Chacun des noms qu'elles portent appelle ce cortège étrange aussi prompt à provoquer la gravité que le rire d'autant plus juste qu'il est grave.
La voix d'Emmanuel Venet prend en charge cet hétéroclite par quoi nous assumons notre sort, et « s'impose la nécessité de rendre à la médecine la part de poésie qu'elle rechigne à assumer ». Alors sa langue résonne comme une évidence.
On habite sa fiction comme une réalité qui nous appartient.
Il n'est pas question ici de la vérité, mais des vérités de la médecine que ce texte fait vivre en creux, avec jubilation, pour notre grande guérison.
La scène se passe à Urbino, au palais ducal, à la fin du mois de juin 15o2.
Dans l'effet de souffle des guerres d'Italie, les petits États tremblent sur leur base ; ils seront à qui s'en emparera hardiment. Insolent et véloce comme la fortune, César Borgia est de ceux-là. Le fils du pape donne audience à deux visiteurs. Le premier est un vieux maître que l'on nomme Léonard de Vinci, le second un jeune secrétaire de la Chancellerie florentine du nom de Nicolas Machiavel. De 1502 à 1504, ils ont parcouru les chemins de Romagne, inspecté des forteresses en Toscane, projeté d'endiguer le cours de l'Arno.
Un même sentiment d'urgence les fit contemporains. Il ne s'agissait pas seulement de l'Italie : c'est le monde qui, pour eux, était sorti de ses gonds. Comment raconter cette histoire, éparpillée en quelques bribes ? Léonard ne dit rien de Machiavel et Machiavel tait jusqu'au nom de Léonard. Entre eux deux coule un fleuve. Indifférent aux efforts des hommes pour en contraindre le cours, il va comme la fortune.
Alors il faut le traverser à gué, prenant appui sur ces mots rares et secs jetés dans les archives comme des cailloux sonores.
" je voudrais faire des portraits qui un siècle plus tard aux gens d'alors apparussent comme des apparitions " écrivait van gogh il y a justement un siècle.
Ces portraits, on peut douter qu'ils apparaissent aujourd'hui : comble de la valeur marchande, ils sont aussi peu visibles que les effigies des billets de banque. c'est que van gogh, qui accessoirement était peintre aussi, est une affaire en or. dans cette affaire, il est bien au-delà de son oeuvre maintenant, nulle part. j'ai voulu le voir en deçà de l'oeuvre ; par les yeux de quelqu'un qui ignore ce qu'est une oeuvre, si ce phénomène était encore possible à la fin du siècle dernier ; quelqu'un qui vivait dans un temps et dans un milieu où la mode n'était pas encore que tout le monde comprît la bonne peinture : ce facteur roulin qui fut l'ami d'un hollandais pauvre, peintre accessoirement, en arles en 1888.
Et bien sûr je n'y suis pas parvenu. le mythe est beaucoup plus fort, il absorbe toute tentative de s'en distraire, l'attire dans son orbite et s'en nourrit, ajoutant quelques sous au capital de cette affaire en or, sempiternellement. cet échec est peut-être réconfortant : il me permet de penser que le facteur roulin se tient nécessairement devant qui l'évoque à la façon d'une apparition, comme le voulait celui qui le fit exister.
P. m.
« Le roi, on le sait, a deux corps : un corps éternel, dynastique, que le texte intronise et sacre, et qu'on appelle arbitrairement Shakespeare, Joyce, Beckett, ou Bruno, Dante, Vico, Joyce, Beckett, mais qui est le même corps immortel vêtu de défroques provisoires ; et il a un autre corps mortel, fonctionnel, relatif, la défroque, qui va à la charogne, qui s'appelle et s'appelle seulement Dante et porte un petit bonnet sur un nez camus, seulement Joyce et alors il a des bagues et l'oeil myope, ahuri, seulement Shakespeare et c'est un bon gros rentier à fraise élisabéthaine. »