Malgré le naufrage et la multiplication des alertes, le cap est à ce jour inchangé : c'est l'adaptation de toutes les sociétés au grand jeu de la compétition mondiale. Une marée de gilets jaunes a pourtant surgi sur le pont, bientôt rejointe par d'innombrables mutineries pour défendre les retraites, l'éducation et la santé. Reste, pour aller du cap aux grèves, à conjurer l'obsession du programme et du grand plan, qui paralyse l'action. Et à passer de la mobilisation virtuelle des écrans à la réalité physique des luttes et des lieux.
À travers le récit de son propre engagement, Barbara Stiegler dit la nécessité de réinventer notre mobilisation là où nous sommes, en commençant par transformer les endroits précis et concrets de nos vies.
Parce que, depuis plusieurs décennies maintenant, la gauche ne cesse de stagner, de régresser, de perdre les combats qu'elle engage, il est nécessaire d'interroger nos stratégies, nos modes de pensée et nos manières de lutter.
À quelles conditions les forces progressistes peuvent-elles redevenir puissantes politiquement ?
Il est courant de déplorer le déclin de la souveraineté de l'État-nation, qui semble devoir être aujourd'hui supplantée par la puissance du capital mondial. Restaurer la verticalité de l'État et son autorité serait ainsi la seule voie pour contester le globalisme néolibéral. C'est contre cette illusion, encore trop répandue à gauche, que Pierre Dardot et Christian Laval ont entamé ce long parcours dans l'histoire complexe et singulière de l'État occidental moderne, depuis sa naissance à partir du modèle de l'Église médiévale jusqu'à son rôle actuel d'État-stratège dans la concurrence mondiale.
Comprendre les aléas et les détours de cette construction, c'est mettre à nu les ressorts d'une domination sur la société et sur chacun de ses membres qui est fondamentalement de l'ordre de la croyance : les « mystères de l'État », le culte de sa continuité qui oblige ses représentants par-delà leur succession, la sacralité dont ces derniers aiment à s'entourer dans l'exercice de leurs fonctions, autant d'éléments qui ont pu changer de forme, mais qui demeurent au principe de sa puissance. En retraçant cette généalogie, il s'agit pour les auteurs de montrer que l'on ne peut répondre aux défis de la mondialisation capitaliste et du changement climatique sans remettre en cause cet héritage. Car l'invocation de la souveraineté « nationale » est devenue l'alibi de l'inaction climatique et de la perpétration des écocides.
Pour affronter ces enjeux globaux, il est indispensable de s'attaquer à un tel régime d'irresponsabilité politique qui dispense les gouvernants de rendre des comptes aux citoyens. C'est dire qu'il faut ouvrir la voie à un au-delà de la souveraineté étatique.
"L'idée d'un marché s'ajustant lui-même était purement utopique".
Historien et anthropologue de l'économie, Karl Polanyi (1886-1964) est l'un des premiers penseurs à intégrer au sein d'une même critique de l'utopie libérale qu'est la société de marché les conséquences sociales et écologiques de son imposition.
L'économie n'est plus au service de la société, mais le marché régit désormais toutes les sphères de la vie humaine. C'est cette inversion, fondée sur notamment sur le mythe d'un marché autorégulateur, que dénonce avec force Polanyi.
À l'heure où il devient nécessaire d'imaginer une transition écologique et démocratique de l'économie, son oeuvre éclairera celles et ceux qui ne se résignent pas à la marchandisation générale de nos sociétés.
Ne nous libérez pas, on s'en charge est né d'une rencontre, celle de trois historiennes qui, depuis 2013, ont animé un séminaire à l'EHESS sur la sociohistoire des féminismes. Trois regards, trois générations, trois parcours différents pour une volonté commune d'offrir un récit renouvelé de l'histoire des féminismes en France.
Motivées par la demande des étudiantes et étudiants pour des éléments historiques accessibles, les autrices répondent à des interrogations qui donnent à réfléchir aux perspectives politiques d'aujourd'hui. Comment les féminismes ont-ils émergé ? Quels liens entretiennent-ils avec les mobilisations de femmes révolutionnaires et l'anti-esclavagisme ? Doit-on parler de « féminisme bourgeois » ? Y a-t-il eu des féminismes noirs ? Les féministes étaient-elles toutes colonialistes ? Existe-t-il des féminismes religieux ? Comment s'articulent le mouvement gay lesbien trans (LGBTQI +) et les mouvements féministes ? Le féminisme institutionnel est-il réactionnaire ? Qu'est-ce que le genre fait aux féminismes ? Que révèle #MeToo sur la construction des femmes comme sujets politiques ? Qu'il y a-t-il de nouveau dans le féminisme d'aujourd'hui ? Comment les féminismes s'articulent-ils avec l'histoire impériale de la France et s'insèrent-ils dans des circulations transnationales ?
Le récit se divise en quatre parties qui correspondent aux principales scansions entre la Révolution française et les premières décennies du XXIe siècle. Ce livre entend fournir quelques clés indispensables pour penser les féminismes d'hier et d'aujourd'hui à la lumière des grands défis contemporains, des inégalités sociales, raciales et de genre. Réinterroger l'histoire des féminismes revient ainsi à s'inscrire dans une volonté de renouveau d'une histoire qui cesserait d'ignorer celles et ceux qui ont pensé et agi pour l'égalité et la liberté des rapports de genre.
Nées en Italie dans les années 1940, Silvia Federici et Mariarosa Dalla Costa sont des militantes pionnières et des intellectuelles féministes de premier plan. Dans ces entretiens inédits menés par l'historienne Louise Toupin, elles reviennent sur le mouvement qu'elles ont cofondé en 1972, le Collectif féministe international, qui fut à l'origine d'une revendication radicale et controversée au sein du féminisme, celle de la rémunération du travail domestique invisible. À partir de ce riche terreau, elles racontent comment s'est complexifiée leur pensée au fil du temps, et formulent une critique intersectionnelle du capitalisme néolibéral, depuis la notion de crise de la reproduction.
Vers 1800, la plupart des Français étaient des paysans qui construisaient eux-mêmes leur maison, récoltaient leurs céréales, pétrissaient leur pain et tissaient leurs vêtements. Aujourd'hui, l'essentiel de ce que nous consommons est produit par un réseau de grandes et lointaines entreprises. En deux siècles à peine, la communauté paysanne autarcique s'est effacée pour laisser place à une myriade de consommateurs urbains et connectés.
Cet ouvrage retrace les grandes étapes de cette conversion à la consommation. Comment s'est constitué le pouvoir marchand ? Quels changements sociaux ont accompagné la circulation massive des marchandises ? En parcourant l'Europe et l'Amérique du Nord des XIXe et XXe siècles, ce livre retrace l'histoire de multiples dispositifs de marché : la marque insufflant à la marchandise sa valeur-signe, les mises en scène inventées par les grands magasins, l'ingénierie symbolique déployée par les relations publiques et la publicité... Il raconte la conversion des populations à la consommation et la fulgurante prise de pouvoir des marchands.
John Cowper Powys se défie de l'affliction autant que de la sérénité. Le philosophe avance, en funambule, sur un fil tendu au-dessus du gouffre de la solitude. Dans une approche présentée comme « libre, sceptique et indépendante », il se propose de « retourner aux sensations fondamentales de la conscience planétaire ». Pour ce faire, en grand érudit, il invoque les présocratiques, Rousseau, le stoïcisme, et renoue avec les philosophies orientales, deux décennies avant la Beat Generation.
Mais l'auteur se fait surtout intraitable critique. Son désir de « rappeler la philosophie », comme sa dénonciation de l'impuissance des grands systèmes philosophiques, résonnent avec force. La recherche de la solitude et le mépris du destin font dès lors office de vaccin contre l'amertume de l'existence.
Disons les choses d'emblée : la condition anarchique ici n'a rien à voir avec l'anarchisme qui intéresse la théorie politique. Lue étymologiquement, comme absence de fondement, an-arkhé, elle est le concept central d'une axiologie générale et critique. Générale parce qu'elle prend au sérieux qu'on parle de « valeur » à propos de choses aussi différentes que l'économie, la morale, l'esthétique, ou toutes les formes de grandeur, et qu'elle en cherche le principe commun. Critique parce qu'elle établit l'absence de valeur des valeurs, et pose alors la question de savoir comment tient une société qui ne tient à rien.
Aux deux questions, une même réponse : les affects collectifs. Ce sont les affects qui font la valeur dans tous les ordres de valeur. Ce sont les affects qui soutiennent la valeur là où il n'y a aucun ancrage. Dans la condition anarchique, la société n'a que ses propres passions pour s'aider à méconnaître qu'elle ne vit jamais que suspendue à elle-même.
Depuis quelques décennies, un nombre grandissant de philosophes ont manifesté un intérêt accru pour la question du don. D'abord pour mettre en cause la toute puissance du marché qui étend son emprise. Mais au-delà de cette inquiétude liée à une situation historique, nombre de penseurs ont construit une réflexion sur le monde - sur l'être - comme donné. On tend alors à rattacher cette " donation originaire " à une éthique de la gratuité. Gratuité pure, geste unilatéral : telle est la pensée du don qui, selon des styles et des arguments propres, domine chez J. Derrida, E. Levinas, J.-L. Marion et bien d'autres. Il était sans doute temps de se défaire de toutes les pensées du don un peu trop pieuses, devenues envahissantes dans la philosophie française de tradition phénoménologique. Confrontant le travail de ces philosophes au célèbre Essai sur le don de Marcel Mauss, Marcel Hénaff montre que le don est d'abord et avant tout une procédure de reconnaissance publique entre groupes au moyen de ces biens compris comme symboles d'une alliance.
À l'occasion de son quatrième séjour au Japon, au printemps 1986, Claude Lévi-Strauss écrit les trois chapitres qui composent aujourd'hui ce volume - trois conférences faites à Tokyo, à l'invitation de la Fondation Ishizaka. Il choisit pour cet ensemble le titre que porte à présent ce livre.L'anthropologue y aborde les problèmes cruciaux d'un monde sur le point de rentrer dans le XXIe siècle, et propose un nouvel humanisme : " Après l'humanisme aristocratique de la Renaissance et l'humanisme bourgeois du XIXe siècle, l'anthropologie marque donc l'avènement, pour le monde fini qu'est devenue notre planète, d'un humanisme doublement universel.En cherchant son inspiration au sein des sociétés les plus humbles et longtemps méprisées, elle proclame que rien d'humain ne saurait être étranger à l'homme. Elle fonde ainsi un humanisme démocratique qui dépasse ceux qui le précédèrent : créés pour des privilégiés, à partir de civilisations privilégiées. Et en mobilisant des méthodes et des techniques empruntées à toutes les sciences pour les faire servir à la connaissance de l'homme, elle appelle à la réconciliation de l'homme et de la nature dans un humanisme généralisé. " - Professeur au Collège de France, Claude Lévi-Strauss est né à Bruxelles le 28 novembre 1908 et mort à Paris le 30 octobre 2009.
- " [...] Pour qui aborde l'histoire, non pas, si j'ose dire, par la face visible de la lune - l'histoire de l'ancien monde depuis l'Égypte, la Grèce, et Rome - mais par cette face cachée de la lune qui est celle du japonologue et de l'américaniste, l'importance du Japon deviendrait aussi stratégique que celle de l'autre histoire, celle du monde antique et de l'Europe des temps archaïques. Il faudrait alors envisager que le Japon le plus ancien ait pu jouer le rôle d'une sorte de pont entre l'Europe et l'ensemble du Pacifique, à charge pour lui et pour l'Europe de développer, chacun de son côté, des histoires symétriques, tout à la fois semblables et opposées : un peu à la façon de l'inversion des saisons de part et d'autre de l'équateur, mais dans un autre registre et sur un autre axe. C'est donc [...] dans une perspective beaucoup plus vaste que le Japon peut nous sembler détenir certaines des clés maîtresses donnant accès au secteur qui reste encore le plus mystérieux du passé de l'humanité. "
" L'organisation d'une pénalité d'enfermement n'est pas simplement récente, elle est énigmatique. Qu'est-ce qui pénètre dans la prison ? En tout cas, pas la loi. Que fabrique-t-elle ? Une communauté d'ennemis intérieurs. " C'est en ces termes que Michel Foucault dénonce, dans ce cours prononcé en 1973 - et que viendra compléter, en 1975, son ouvrage Surveiller et punir - le " cercle carcéral ".
La Société punitive étudie ainsi comment les sociétés traitent les individus ou les groupes dont elles souhaitent se débarrasser, c'est-à-dire les tactiques punitives, mais aussi la prise de pouvoir sur le corps et sur le temps et l'instauration du couple pénalité-délinquance.
Michel Foucault retrace l'histoire des " tactiques fines de la sanction " dont il distingue quatre modalités : exiler ; imposer un rachat ; marquer ; enfermer. C'est dans la seconde moitié du XVIIIe siècle que se développe une " science des prisons " à fonction corrective et que se construit un discours sur le criminel et son traitement possible, donnant naissance à un schéma de société qui vise à l'absolu du contrôle et de la surveillance. L'ajustement entre le système judiciaire et le mécanisme de surveillance (l'organisation d'une police), entre l'émergence de la richesse et la pratique des illégalismes, entre la force corporelle de l'ouvrier et l'appareil de production s'accomplit ensuite au tournant du XIXe siècle. Foucault démontre donc que ce sont les instances de contrôle para-pénal du XVIIe et du XVIIIe siècle qui ont abouti, in fine, au fonctionnement de la prison, visant à l'élimination du désordre, au contrôle de la distribution spatiale des individus, de leur emplacement par rapport à l'appareil productif.
La Société punitive finit par poser la question, cruciale aux yeux du philosophe, de la validité intrinsèque de la loi pénale. A-t-elle vocation universelle ou se limite-t-elle à la douteuse applicabilité d'une somme de décrets ?
ÿþ " Fondé sur une enquête conduite quinze mois durant, des prémices des émeutes de l'automne 2005 jusqu'en 2007, auprès de la brigade anti-criminalité d'une banlieue parisienne, cet ouvrage met en lumière l'exception sécuritaire à laquelle sont soumises les " cités ". Au plus près du travail des policiers comme de l'expérience qu'en ont les populations, il montre que se déroulent au quotidien, près de chez nous, des scènes qui mettent en question le contrat social et la démocratie.À l'opposé des épisodes spectaculaires que relate le journalisme, Didier Fassin raconte l'ennui et l'inactivité des patrouilles, la pression du chiffre et les doutes sur le métier, les formes invisibles de violence et les relations ambiguës avec le monde politique, la banalité du racisme et des discriminations, les interrogations éthiques des agents. Restituant le climat des interventions, il replace les situations dont il témoigne aussi bien dans la perspective du contexte social et politique contemporain que dans celle des imaginaires tels qu'ils se donnent à lire au cinéma et dans les séries télévisées.Loin d'une posture confortable de dénonciation, cette étude s'efforce d'approfondir un nécessaire débat sur la manière dont on police aujourd'hui les milieux populaires et, singulièrement, les jeunes de familles immigrées.
" Didier Fassin est professeur de sciences sociales à l'Institute for Advanced Study de Princeton et directeur d'études à l'EHESS. Il a notamment publié La Raison humanitaire (Hautes Études-Gallimard-Seuil, 2010), L'Empire du traumatisme (Flammarion, 2008) et Quand les corps se souviennent (La Découverte, 2006).
Un nouveau paradigme s'installe dans le champ de la psychiatrie : la santé mentale, caractérisé par la réduction du soin psychique à un certain nombre d'actes médicaux et largement fondé sur les neurosciences. Son but est la bonne santé mentale de tous les sujets, et paradoxalement plus guère celle des fous, si longue, et donc si coûteuse à obtenir, outre qu'elle résiste encore aux explications strictement neurologiques. Les enjeux de ce changement sont considérables, car, nous dit Patrick Coupechoux, il signifie l'abandon de la dimension humaine de la folie. La santé mentale écarte en effet d'un revers de main les acquis et convictions de la psychiatrie française depuis cinquante ans, une psychiatrie qui s'est battue pour que le fou ne soit pas traité comme un malade mais comme un sujet à part entière, et que le soin soit une relation. Pour apprécier pleinement ce virage, cette passionnante étude en forme d'éloge explore les sources théoriques et cliniques, politiques et poétiques de cette psychiatrie du sujet ou « désaliéniste ». Elle en dégage aussi les moments fondamentaux : la naissance de la pensée désaliéniste, l'apport du surréalisme, la psychiatrie de secteur et la psychothérapie institutionnelle, les débats sur les causes de la folie (organiques, psychologiques ou sociales. Un parcours passionnant et complet.
ÿþ " La crise financière, qui s'est prolongée en une vaste crise économique et sociale, les réformes menées au pas de charge par les gouvernements de droite en Europe, l'accroissement des écarts de richesse entre Nord et Sud, tout concourt à remettre la question sociale au cSur des préoccupations. Au même moment, en France et ailleurs, la démocratie est affaiblie par l'accroissement des inégalités, la désaffiliation sociale, la haine de l'autre, la défiance vis-à-vis de gouvernements qui échouent à répondre aux attentes des citoyens. Ce livre montre le lien nécessaire entre cohésion sociale et démocratie. Il ne s'agit pas seulement de faire le constat d'une situation de crise, mais de comprendre comment on peut faire - ou refaire - société.
" - Introduction (Pierre Rosanvallon)- Le regain des inégalités (Christian Baudelot)- La société des individus (Robert Castel)- La famille, une valeur refuge ? (Cécile Van de Velde)- Lutter contre les discriminations (Magali Bessone)- Entreprises et solidarité sociale (Blanche Ségrestin)- Comment mettre en Suvre la justice sociale ? (François Dubet)
Pour certains analystes, nous serions entrés, depuis peu, dans une modernité enfin réflexive, succédant à une modernité simple de la révolution scientifique puis de la révolution industrielle qui aurait été aveugles aux risques et aux effets secondaires de la civilisation technicienne sur l'environnement. Mais sommes-nous les premiers à distinguer dans les lumières éblouissantes du progrès technique, l'ombre de ses dangers ? En occultant la réflexivité environnementale des sociétés passées, ce schéma simpliste dépolitise l'histoire longue de la destruction des environnements et altère notre possibilité d'appréhender lucidement la crise environnementale actuelle. Pour éviter cette amnésie, une histoire politique du risque technologique et de sa régulation sur la longue durée était nécessaire.L'Apocalypse joyeuse expose l'entrée de la France et de la Grande-Bretagne dans la modernité industrielle (fin XVIIIe-XIXe siècle), celle des vaccins, des machines, des usines chimiques et des locomotives. Elle nous plonge au coeur des controverses vives qui surgirent autour des risques et des nuisances de ces innovations, et montre comment les critiques et les contestations furent réduites ou surmontées pour qu'advienne la société industrielle.L'histoire du risque ici racontée n'est pas celle d'une prise de conscience, mais celle de la construction d'une certaine inconscience modernisatrice.
Comment dessiner une vue d'ensemble du monde social lorsque les cloisonnements disciplinaires et l'hyperspécialisation du savoir poussent chaque chercheur à garder le nez collé sur le fonctionnement de petites parcelles de ce monde ?Une question centrale donne pourtant aux sciences humaines et sociales un socle commun : pourquoi les individus font-ils ce qu'ils font ? Et l'on ne peut y répondre sans prendre en compte le long processus de différenciation par lequel les sociétés se sont fragmentées en microcosmes aux frontières néanmoins incertaines. Pour comprendre les actions humaines, il est dès lors indispensable de les inscrire dans des contextes chaque fois spécifiques. Si la plupart des spécialistes en conviennent, peu s'accordent toutefois sur les cadres pertinents dans lesquels les acteurs doivent être situés pour analyser tel ou tel compartiment, telle ou telle dimension de leurs pratiques. Des catégories aussi fondamentales que les notions de " champ " ou de " monde " appellent en particulier un examen critique.Bernard Lahire ne propose pas ici une théorie générale de la société, mais s'efforce de marquer une distance par rapport à l'état actuel des sciences humaines et sociales et aux lignes de clivage qui les traversent en nous donnant la possibilité d'entrevoir l'unité cachée d'un espace en apparence très morcelé.
Unique par la durée qu'elle embrasse (des lendemains de la Révolution jusqu'à nos jours) comme par les dimensions sociales, culturelles, politiques et symboliques qu'elle s'efforce pour la première fois de combiner, cette nouvelle histoire intellectuelle de la France contemporaine met en relief non seulement le rôle des personnalités, des groupes, des controverses et des événements, mais également les conditions les plus prosaïques et matérielles de la vie intellectuelle ainsi que les conditions sociales et économiques de la production et de la circulation des idées.
Enfin, contre les tendances traditionnelles de l'histoire des idées, les auteurs s'emploient à dénationaliser le récit pour mieux dégager les interactions entre l'espace français et les autres mondes intellectuels proches ou lointains, européens ou non européens, sans oublier en interne les contestations de l'hégémonie du centre parisien. Ce premier tome couvre une période qui s'étend de 1815 à 1914, celle de la conquête des libertés d'expression et d'une imbrication forte entre monde intellectuel et champs politique et religieux où les idées circulent aisément dans un cercle relativement restreint (1815-1860), suivie d'une phase progressive et déterminante d'autonomisation collective des intellectuels et d'une lutte entre eux pour définir les valeurs qu'ils portent et les faire valoir publiquement (1860-1914).
Unique par la durée qu'elle embrasse (des lendemains de la Révolution jusqu'à nos jours) comme par les dimensions sociales, culturelles, politiques et symboliques qu'elle s'efforce pour la première fois de combiner, cette nouvelle histoire intellectuelle de la France contemporaine met en relief non seulement le rôle des personnalités, des groupes, des controverses et des événements, mais également les conditions les plus prosaïques et matérielles de la vie intellectuelle ainsi que les conditions sociales et économiques de la production et de la circulation des idées.
Enfin, contre les tendances traditionnelles de l'histoire des idées, les auteurs s'emploient à dénationaliser le récit pour mieux dégager les interactions entre l'espace français et les autres mondes intellectuels proches ou lointains, européens ou non européens, sans oublier en interne les contestations de l'hégémonie du centre parisien. Ce premier tome couvre une période qui s'étend de 1815 à 1914, celle de la conquête des libertés d'expression et d'une imbrication forte entre monde intellectuel et champs politique et religieux où les idées circulent aisément dans un cercle relativement restreint (1815-1860), suivie d'une phase progressive et déterminante d'autonomisation collective des intellectuels et d'une lutte entre eux pour définir les valeurs qu'ils portent et les faire valoir publiquement (1860-1914).
La répartition des richesses est l'une des questions les plus débattues aujourd'hui. Pour les uns, les inégalités n'en finiraient pas de se creuser dans un monde toujours plus injuste. Pour les autres, on assisterait à une réduction naturelle des écarts et toute intervention risquerait de perturber cette tendance harmonieuse. Mais que sait-on vraiment de l'évolution des inégalités sur le long terme ? En réalité, les analyses économiques supposées nous éclairer se fondent plus souvent sur des spéculations théoriques que sur des faits établis.
Fruit de quinze ans de recherches, cette étude, la plus ambitieuse jamais entreprise sur cette question, s'appuie sur des données historiques et comparatives bien plus vastes que tous les travaux antérieurs. Parcourant trois siècles et plus de vingt pays, elle renouvelle entièrement notre compréhension de la dynamique du capitalisme en situant sa contradiction fondamentale dans le rapport entre la croissance économique et le rendement du capital.
Si la diffusion des connaissances apparaît comme la force principale d'égalisation des conditions sur le long terme, à l'heure actuelle, le décrochage des plus hautes rémunérations et, plus encore, la concentration extrême des patrimoines menacent les valeurs de méritocratie et de justice sociale des sociétés démocratiques.
En tirant de l'expérience des siècles passés des leçons pour l'avenir, cet ouvrage montre que des moyens existent pour inverser cette tendance.
" À la fin d'une période où j'ai été médecin (1957-1968) à l'hôpital psychiatrique de Cery, près de Lausanne, il m'avait semblé opportun de jeter un regard sur l'histoire millénaire de la mélancolie et de ses traitements. L'ère des nouvelles thérapeutiques médicamenteuses venait de s'ouvrir.Après une licence ès lettres classiques à l'université de Genève, j'avais entrepris en 1942 des études conduisant au diplôme de médecin.La double activité médicale et littéraire se prolongea au cours des années 1953-1956 passées à l'Université Johns Hopkins de Baltimore.Je relate ces diverses étapes de mes jeunes années pour dissiper un malentendu. Je suis souvent considéré comme un médecin défroqué, passé à la critique et à l'histoire littéraires. À la vérité, mes travaux furent entremêlés. L'enseignement d'histoire des idées qui me fut confié à Genève en 1958 s'est poursuivi de façon ininterrompue sur des sujets qui touchaient à l'histoire de la médecine, et plus particulièrement de la psychopathologie. "Ce livre reprend la thèse de Jean Starobinski, merveilleux texte d'histoire de la littérature, et propose d'éclairer les figures prises par la mélancolie au cours des siècles, les formes dans lesquelles la souffrance psychique a été interprétée. Elle fut liée à d'anciens mythes, à toute une imagination matérielle (la bile noire, sèche et froide), à la spéculation astrologique, à divers systèmes médicaux qui ont laissé jusqu'aujourd'hui d'innombrables traces dans les littératures et les arts.
Ce livre est né d'une interrogation sur le rôle du droit face aux effets de la mondialisation. D'un côté, celle-ci renforce l'humanisme juridique par le développement international des droits de l'homme, la reconnaissance des biens publics mondiaux, l'affirmation d'un droit humanitaire et d'une justice pénale internationale. Mais de l'autre, elle le menace par le durcissement du contrôle des migrations, l'aggravation des exclusions sociales, la multiplication des atteintes à l'environnement, la persistance des crimes internationaux les plus graves ou les risques d'asservissement engendrés par les nouvelles technologies.
À force d'être invoquée à tort et à travers sans être pour autant mieux appliquée, la ritournelle humaniste, n'annonce-t-elle pas, en réalité, la mise à mort de l'humanisme juridique ?
À moins d'inventer un nouvel humanisme, ou plutôt de se projeter dans l'avenir en faisant le pari, utopique mais réaliste, qu'il est possible d'humaniser la mondialisation autour de trois objectifs : résister à la déshumanisation, responsabiliser ses acteurs, anticiper sur les risques à venir.
Tel est l'esprit qui anime ce livre de combat.
Après avoir longtemps refusé d'y toucher, les sciences sociales découvrent que la société marche aux désirs et aux affects. Mais quand on voit que l'économie, bien dans sa manière, poursuit son fantasme de science dure en s'associant maintenant avec la neurobiologie, on devine que le risque est grand que le " tournant émotionnel " porte à son comble le retour à l'individu et signe l'abandon définitif des structures, institutions, rapports sociaux, par construction coupables de ne pas faire de place aux choses vécues.
Comment articuler les émotions des hommes et le poids de détermination des structures ? Comment penser ensemble ces deux aspects également pertinents, et manifestement complémentaires, de la réalité sociale - que rien ne devrait opposer en principe ? Tel est le projet de " structuralisme des passions " que Frédéric Lordon expose dans ce livre brillant et roboratif. Mobilisant les textes de Spinoza, mais aussi de Marx, Bourdieu et Durkheim, il s'efforce de penser la part passionnelle des structures du capitalisme et de leurs crises historiques successives.
Économiste devenu philosophe, Frédéric Lordon s'attache au fond par ce travail à la " réfection de nos sous-sols mentaux ". Parce que la destruction du socle métaphysique de la pensée libérale est un préalable indispensable à la transformation politique des structures.